dimanche 30 décembre 2007

PRESENTATION GENERALE DU PAYS

La Birmanie, aux frontières de l’Inde et du Bangladesh au nord-ouest, de la Chine au nord (province du Yunnan), du Laos au nord-est, et de la Thaïlande à l’est, se situe au cœur de l’Asie, à l’interface des mondes indien, chinois et indochinois. Le pays compte plus de 50 millions d’habitants, majoritairement bouddhistes (environ 80%), et regroupe près de 140 ethnies ou sous-ethnies, parlant plus de 110 langues et dialectes, vivant sur un tiers du territoire, principalement dans les régions montagneuses qui forment un fer à cheval autour du pays. Le territoire birman est vaste comme la France et le Bénélux réunis (soit 676 579 km2), et est divisé en sept divisions et sept états. Ses côtes s’ouvrent sur le golfe du Bengale et la mer d’Andaman. Le fleuve principal, l’Irrawaddy, traverse le pays en son centre et termine son parcours en un large détroit près de Rangoun, la capitale jusqu’à fin 2005. Le fleuve Mékong sert de frontière sur une courte distance avec le Laos.

Un décryptage historique de la Birmanie permet d’éclairer le contexte dans lequel la société birmane évolue aujourd’hui. Au temps des différents royaumes, l’histoire montre la façon dont les Bama, ethnie birmane majoritaire, ont su s’imposer face aux Môn, Rakhine et Shan, ethnies faisant partie des huit groupes principaux, comptant en plus les Chin, Kachin, Karen et Kayah. La situation des ethnies en Birmanie est complexe, du fait de sa diversité et de leur opposition constante au pouvoir central, rébellion qui s’est manifestée à partir de l’indépendance, par le biais de groupes armés dans les régions périphériques du pays.

Le pays, colonisé par les Britanniques, accède à l’indépendance le 4 janvier 1948, négociée par le général Aung San, héros national, assassiné en juillet 1947 avec six de ses pairs. Un régime parlementaire est alors instauré, et des élections mènent U Nu à la fonction de Premier ministre. Impuissant à réaliser l’unité du pays, il fait alors appel à l’armée et à son chef, le général Ne Win, qui exige les pleins pouvoirs, tout en s’engageant à rendre le pouvoir après de nouvelles élections, dès qu’il aurait rétabli l’ordre.

En 1960, les élections promises ramènent U Nu à la tête du gouvernement. Mais les clans politiques s’affrontent et le général Ne Win s’approprie le 1er mars 1962 le pouvoir définitivement. Il jette U Nu en prison, forme un conseil révolutionnaire, abolit la Constitution de 1947, ferme les tribunaux et interdit les partis politiques, hormis le sien, le Burmese Socialist Program Party (BSPP).

En 1985 puis en 1987, le régime procède à deux démonétisations successives qui provoquent en 1988 un mouvement étudiant protestataire, conduisant notamment à l’instauration de la loi martiale. Mais la contestation s’élargit au fil des mois, et les manifestations massives finissent par être réprimées dans le sang. Il est impossible de connaître le nombre réel de victimes, on parle d’au moins 3 000 personnes. C’est à ce moment qu’Aung San Suu Kyi, fille d’Aung San, entre sur le devant de la scène politique birmane, afin de ramener le calme, et guider le pays vers l’unité nationale et la démocratie. La situation explosive conduit le général Ne Win à se démettre de ses fonctions, et nomme le général Saw Maung à la tête du State Law and Order Restoration Council (SLORC, conseil d’état pour le rétablissement de la loi et de l’ordre). Le SLORC a quasiment la même composition que le gouvernement antérieur, et Ne Win continue à diriger en sous-main. A la manière du général donc, le SLORC proclame que son but est de préparer des élections démocratiques pluri-partis. L’opposition commence à s’organiser, particulièrement autour d’un parti de coalition, la National League for Democracy (NLD, ligue nationale pour la démocratie), dont la co-fondatrice est Aung San Suu Kyi. Mais il faudra beaucoup de courage aux partis d’opposition pour mener une campagne, car de nombreuses restrictions font obstacles à leur participation. En juillet 1989, le SLORC, inquiet, met même Aung San Suu Kyi en résidence surveillée. En mai 1990, des élections parlementaires sont organisées comme prévu et ont lieu sans fraude, ce qui montre bien à quel point le SLORC était certain du succès de son parti, le National Unity Party (NUP, parti national pour l’unité). Mais à la surprise générale, la NLD obtient 392 des 485 sièges à pourvoir (81%), contre 29 sièges (9%) pour le NUP. Le SLORC reste vingt-quatre heures dans un silence abasourdi avant de refuser le résultat des urnes et d’interdire la réunion du Parlement.

Face à l’intensification de la répression, une douzaine d’organisations en exil, représentant le mouvement démocratique et les minorités ethniques, se regroupent en un National Council of Union of Burma (NCUB, conseil national de l’union de Birmanie). En 1991, le prix Nobel de la Paix est attribué à Aung San Suu Kyi, portant à l’attention de la communauté internationale la situation de la Birmanie. L’année suivante, le SLORC convoque une Convention nationale, dont la tâche est d’élaborer une nouvelle constitution, la dernière datant de 1974. Des représentants de la NLD et de minorités ethniques sont invités, mais l’amorce du dialogue est rompue dès qu’ils comprennent que les généraux attendent d’eux qu’ils avalisent un texte légalisant le contrôle absolu de l’armée sur le pays. Par ailleurs, à partir de 1994, le SLORC systématise la politique de cessez-le feu avec les minorités ethniques en rébellion qu’il avait inauguré en 1989 avec le parti communiste birman.

En outre, en 1987, la faillite est telle que la Birmanie est déclarée Pays le Moins Avancé (PMA), ce qui fait réagir la junte, qui proclame en 1988 l’entrée dans le système capitaliste, mais c’est un capitalisme d’état qui s’instaure alors au profit des chefs militaires, qui contrôlent tous les secteurs rentables. Les conséquences pour la population sont catastrophiques : la récession économique liée à la crise financière asiatique et à des choix économiques internes discutables conduisent le pays au bord de l’asphyxie économique. Les faillites s'accumulent et les prix à la consommation indiquent une hausse persistante. En 1999, la Banque mondiale publie un rapport accablant, qui voit la Birmanie à l’avant-dernière place d’une liste de deux cents pays, juste avant le Sierra Léone. Depuis les années 1990, différents pays ont de plus sanctionné le pays économiquement, afin d’obliger le régime à améliorer sa politique. Les Etats-Unis, l’Union européenne et la Japon ont suivis, ainsi que l’Organisation des Nations Unies qui a limité les aides internationales à des interventions humanitaires. Aung San Suu Kyi a même appelé au boycott économique de son pays. Mais les effets de ces mesures sur la situation politique sont cependant restées limitées en raison d’intérêts divers, dont les généraux ont souvent su jouer.

Face à une mise au ban sur le plan international et une situation économique délabrée, les généraux se sont vus obligés à partir du milieu des années 1990, de montrer des signes d’allégement. Pour commencer, le régime proclame en 1996 la fin du SLORC et son remplacement par le State Peace and Development Council (SPDC, conseil de l’état pour la paix et le développement), mais ce changement de nom ne révèle en rien une quelconque évolution politique, les mêmes généraux tenant toujours les rênes du pouvoir. Des libérations épisodiques de quelques prisonniers politiques, la campagne Visit Myanmar Year 1996 (année du tourisme en Birmanie), l’entrée en 1997 dans l’Association of South East Asian Nations (ASEAN) s’ensuivent. Mais tous ces signes n’ont pas été suivi d’une réelle volonté politique de changement, et les mesures coercitives ne se sont pas pour autant affaiblies, les généraux mettant toujours un point d’honneur à conserver le contrôle du pouvoir. L’année 2003 reflète cette politique empreinte de contradictions : l’arrestation d’Aung San Suu Kyi fin mai 2003 (relâchée en mai 2002) fut suivie de la nomination du général Khin Nyunt au poste de Premier Ministre. Ce dernier présenta une feuille de route qui prévoit sept étapes pour une transition progressive vers la démocratie. La première de ces étapes, mise en œuvre le 17 mai 2004, fut la réunion de la Convention nationale chargée de rédiger une nouvelle constitution ajournée en 1996. Après de multiples ajournements, la convention a finalement été déclarée close le 3 septembre 2007, mais n’entérine que les principes dictés par la junte aux délégués, assurant aux généraux la conservation de leur pouvoir au plus haut niveau.
Le pouvoir, concentré dans les mains de trois généraux pendant 15 ans, se partage aujourd’hui entre le général Than Shwe, président du SPDC et ministre de la défense, et le général Maung Aye, vice-président du SPDC et commandant en chef des armées. Ces derniers en perpétuelle lutte interne pour la main mise sur la politique et l’économie, ont limogé le général Khin Nyunt en octobre 2004, Premier Ministre et puissant chef des services de renseignements. Cette dictature militaire s’appuie sur l’armée disséminée à travers le pays. Le nombre de soldats de l’armée birmane a fortement augmenté ces quinze dernières années, passant de 250 000 à 400 000 soldats. Le budget consacré au développement des forces militaires, équivalent à 50% du PNB, traduit la volonté du pouvoir central de militariser le pays. Le principal financement de cette armée provient des revenus de divers trafics, dont celui de l’opium. L’armement est fourni abondamment par la Chine.

Le 17 novembre 2005, la junte déplace la capitale Rangoun à 300 km au nord. C’est au milieu de nulle part que les généraux construisent une nouvelle capitale isolée qu’ils nomment Nay Pyi Taw signifiant le « siège des rois ». Un projet aux allures de renaissance monarchique qui reflète la volonté de la junte d’asseoir son pouvoir, en s’isolant et se protégeant de toute opposition qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur.

En août 2007, la décision des autorités d’augmenter fortement les prix du gaz et des carburants a engendré une inflation incontrôlable. Des opposants au pouvoir ont alors commencé à manifester sporadiquement à Rangoun mi-août, mais ils se sont vite fait arrêtés. C’est suite à l’engagement des moines bouddhistes dans le mouvement de protestation que la situation a pris une tournure massive (jusqu'à 100 000 manifestants à Rangoun) et politique, les revendications économiques se muant en une volonté de changement politique. Les moines ont décidé de protester après que deux de leurs confrères aient été agressé début septembre dans une ville du centre du pays. Ils ont été rejoints par la suite par de nombreux civils, défilant pacifiquement en très grand nombre dans les rues de Rangoun et de plusieurs villes à travers le pays. Après quelques jours de silence, les autorités n’ont pas hésité à réprimer violemment ces manifestations fin septembre 2007, arrêtant des milliers de personnes, coupant les liaisons téléphoniques et internet, imposant un couvre-feu, déployant 20 000 soldats à Rangoun, interdisant les regroupements de plus de 5 personnes. Le nombre de victimes restera inconnu, mais largement supérieur aux 13 morts annoncés officiellement par les autorités. Les Nations Unies ont mandaté l’envoyé spécial Ibrahim Gambari pour convaincre les généraux de libérer Aung San Suu Kyi et d'entamer des discussions pour l'ouverture démocratique du pays. Un officier de liaison avec l’opposition a ainsi été nommé, mais cette mesure est restée sans effet jusqu'à présent. Bien que le calme soit de retour, la tension est palpable, la présence militaire renforcée, et les monastères sont vidés en nombre de leurs résidents.

Les espoirs de la population, des exilés et de la communauté internationale, tant ravivés par des manifestations de septembre 2007, ont une fois de plus été déçus, et le pays s’enfonce à nouveau dans l’ombre et le silence. Aucune perspective n’est entrevue actuellement. Mais beaucoup de choses ont changé intérieurement, car les birmans n’oublient pas la répression à l’encontre des moines bouddhistes, personnes hautement respectées, ni la négation de leurs besoins pour survivre au quotidien. Reste à savoir si la colère et la frustration accumulées par les birmans ces derniers mois va pouvoir trouver un moyen de se muer à nouveau en une force de changement, ou si la peur l’emportera encore pour des années, au profit des généraux qui ont une fois de plus prouvé qu’ils conservent une main mise puissante sur le pays et qu’ils n’ont que faire de la pression internationale.

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